Supporter du FC Rouen depuis trente ans, Matthieu Gudefin a donné un nouveau sens à son engagement en fondant début 2014 la Fédération des Culs Rouges, une association à démarche populaire comme il en existe peu en France.
Le FC Rouen représente les trois quarts de la vie de Matthieu Gudefin. Très exactement : âgé de 40 ans, le président de la Fédération des Culs Rouges a posé ses… fesses pour la première fois à Diochon en août 1984, pour un Rouen-Sochaux, en Division 1. Il en parle comme si c’était hier. « Le FCR avait fait match nul 1-1 avec une égalisation de Buisine, sur corner, à quinze minutes de la fin, côté tribune nord. Il y avait 11 000 personnes, c’était la folie. J’ai chopé le virus instantanément. Mon père travaillait chez Quille, qui sponsorisait le club il avait eu des places par sa boîte. Il n’est pas foot du tout. Il s’en est voulu après de m’avoir emmené (rires). »
Les trois quarts de sa vie, donc, et 100 % de son emploi du temps début 2014 : entrepreneur digital à Paris (il a fondé en 2011 MobilAddict, une régie publicitaire pour smartphones, devenue YOC France depuis), il s’est tout simplement arrêté de travailler pendant trois mois pour se consacrer au lancement de l’association à vocation d’actionnariat populaire, une des premières en France (lire par ailleurs). « C’était extrêmement chronophage. Ça l’est toujours d’ailleurs… » La concrétisation d’une forme de militantisme : Matthieu Gudefin ne s’est jamais contenté d’être un simple supporter passionné. « Très vite, j’ai voulu aider le club, du temps de l’OGR (1999), quand David Ducci était responsable marketing et moi étudiant en école de commerce au Havre. Ça ne s’était pas concrétisé. Après l’OGR, j’ai fait la connaissance en 2003 de Philippe Hamard (directeur administratif). J’ai postulé pour devenir directeur marketing et communication. J’étais déjà à Paris chez Bouygues, j’étais prêt à changer de vie pour ça. Les dirigeants voulaient attendre de voir si le club se pérennisait en Ligue 2, ce qui était logique. »
Resté en relation avec Hamard devenu directeur général, Matthieu Gudefin a été présenté à Pascal Darmon en 2005. « A cette époque, on envisageait un bouquin avec Guy Labrosse (historien officieux du club), j’avais même pris rendez-vous avec des éditeurs. Mais comme je trépignais de filer un coup de main, je suis entré bénévolement au club, dans la commission communication. On avait été à l’origine de la cérémonie des 110 ans en 2009. J’aidais aussi à gérer le site officiel et j’assurais quelques matches en live. »
« La moitié de mes économies pour le club »
Darmon va lui proposer encore « mieux » : intégrer l’actionnariat de la SASP FCR. « Il a bien vu que j’avais ce club dans la peau, alors sur une des nombreuses augmentations de capital, j’ai été sollicité en 2007. J’ai mis la moitié de mes économies ! Mais je réalisais aussi un rêve de gamin, celui de posséder un « bout » de mon club. C’était l’esprit socios, déjà. Ensuite, à chaque nouvelle augmentation de capital, je me sentais obligé de remettre au pot, même symboliquement. Je le faisais pour le club, pas pour untel ou untel. » Un investissement à perte totale, comme chacun sait. Le dépôt de bilan de 2013 a eu la « vertu » de le conforter dans ses convictions et le décider à proposer une alternative. « Notre vision, est que la dérive du foot-business met les clubs en grand danger, comme on l’a vu ici ou au Mans, Strasbourg, Grenoble, Toulon, et quasiment à Valenciennes. Souvent, les grandes villes attirent des mauvais profils. L’actionnariat populaire est voué à être un bouclier contre ça. On aura fait partie des pilotes. On verra si ça prend, car la France, c’est un peu le pays des Footix… Les gens ne sont attirés que par le spectacle du foot, pas tellement par la préservation de son patrimoine. Le spectacle est une des composantes, mais pas la seule. Heureusement, car plus personne ne s’intéresserait au FCR aujourd’hui (sourire). » S’il n’en reste qu’un, ce sera probablement lui.
ARNAUD RABANY
a.rabany@presse-normande.com
Une reconnaissance nationale
Mercredi dernier, Matthieu Gudefin a rencontré Joël Muller et Pierre Repellini, respectivement président et vice-président de l’Unecatef, le syndicat des entraîneurs. Il accompagnait Florian Le Teuff, président d’« A la Nantaise », le tout premier projet d’actionnariat populaire. Les deux hommes avancent main dans la main dans le « match » âpre qu’ils ont engagé avec les instances nationales : faire des supporters un membre à part entière de la grande famille du football, au même titre que les présidents (UCPF), les joueurs (UNFP), les arbitres, les éducateurs, les médecins et les administratifs, lesquels siègent tous au sein du comité exécutif de la FFF et au CA de la Ligue professionnelle. C’est dans ce but que Le Teuff et Gudefin ont fondé en avril 2014 (avec l’aide des associations nancéienne et toulonnaise) le CNSF (Conseil national des supporters de football), qui légitime leur demande. L’entretien avec Muller et Repellini n’est que la suite d’un long marathon qui a commencé avec Bernard Desumer (vice-président de la FFF), Jean-Pierre Louvel (UCPF), Frédéric Thiriez (LFP), Alain Belsoeur (UAF, Union des acteurs du football) ou Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux sports. Résultat de la « course » en février prochain lors d’une table ronde au Sénat qui réunira tout ce beau monde.
Bref, sur le plan national, la Fédération des Culs Rouges a acquis crédibilité et représentativité. « Matthieu et son asso sont des moteurs du mouvement, assure Florian Le Teuff. Ils défendent la même philosophie que nous, à savoir : forcer les portes, bousculer le conservatisme. La Fédération des Culs Rouges s’est fait une place dans le paysage par son dynamisme, son esprit d’initiative et sa capacité à rassembler différents profils, différentes générations, différentes manières de supporter. »
Au plan local, paradoxalement, le mouvement est à la recherche de son second souffle avec environ 300 adhérents. « Avec 200 membres dès la première AG, le lancement a été réussi. On a eu du mal à aller en chercher beaucoup d’autres ensuite, admet Gudefin. On n’est pas aidés non plus par les résultats : les Rouennais se sont éloignés du FCR. Et le phénomène est encore nouveau en France. En Angleterre, ils encouragent la participation des supporters. Quatorze clubs sur vingt en Premier League ont ouvert leur capital aux fans. On en est loin ici. »
Pour prendre un peu plus de poids dans l’environnement proche, la Fédération des Culs Rouges va donc créer un « club entreprises » visant à « ramener des partenaires pas rassurés par le cadre actuel de l’asso du FCR mais désireux de l’aider indirectement ». Mais à la seule condition que l’association intègre le conseil d’administration du club. Ça reste le nerf de la « guerre » menée par toutes les associations similaires, dans l’Hexagone. Elle aussi ne fait que commencer.
Les quatre commandements
A son lancement, la Fédération des Culs Rouges avait publié un « Pacte Diochon » comme une profession de foi. Voyons avec Mathieu Gudefin si certains de ses « commandements » ont été respectés depuis.
« Assurer la pérennité du sigle FCR et de ses couleurs rouge et blanc ». « Ça va tanguer. Même en cas de montée en CFA 2 il y aura des tentations de rapprochement. De plus en plus de gens commencent à accepter l’idée de fusion, en se disant : s’il faut en passer par là pour revoir un club de haut niveau, eh bien, passons-en par là. Sur le nom FCR et les couleurs, on ne déviera pas de notre ligne. Mais essayer de mutualiser les moyens, ça semble une évidence. »
« Redonner la priorité à la formation et à la détection des talents régionaux. » « On n’a pas encore réussi à intégrer les U19 qui ont brillé en Gambardella au printemps dernier. Gomis et Makuika jouent à dose homéopathique. En étant en DH, on aurait pu s’attendre à plus. Mais il y a eu un effort de fait dans le recrutement. Ça va dans le bon sens même si le compte n’y est pas encore. »
« Participer à la gouvernance pour davantage de transparence. » Pas encore : le conseil d’administration du FCR a voté contre l’intégration d’un représentant de l’association en son sein, au motif qu’elle était « trop jeune ». « A défaut d’intégrer la gouvernance, on a fait le choix d’aider le club. On est cinq bénévoles à s’impliquer dans le fonctionnement du FCR. Ça ne veut pas dire qu’on adhère à tout, mais on ne pourra pas nous reprocher de ne pas se retrousser pas les manches ou de ne penser qu’à former un contre-pouvoir. »
« Construire des budgets réalistes et équilibrés. » Là, le résultat est tangible. « Quand je vois Fabrice Tardy baisser le budget de 950 à 670 K€, je me dis que notre message a porté. On ne recherche pas la transparence totale. Par exemple, ça ne nous intéresse pas de divulguer les salaires des joueurs. On se penche plutôt sur la politique économique globale. »
Accès barré
à la gouvernance
A. R.
Source : Paris Normandie